“TU SAIS À TON ÂGE J’AVAIS DÉJÀ MA MAISON, MON 2ÈME ENFANT, ET MON BUSINESS.”
Vous l’avez déjà entendu cette phrase ?
Ou encore : “Mais comment ça se fait ? Tu dois être difficile et exigeante.” Est ce que vous aussi vous vous rappelez de ces fameuses réunions de famille autour desquelles on passe en revue la vie de tous les cousins/cousines.
Après avoir partagé une fondue chinoise… Oups, j’entends déjà la question, “C’est quoi une fondue chinoise ?” Pour la faire courte, c’est comme une fondue savoyarde, mais avec un bouillon de viande mixé de toutes sortes d’épices. Dans ce bouillon commun, on y trempe des légumes, des vermicelles de riz, de la viande, parfois des fruits de mer, un oeuf, presque tout ce qui peut se mettre dans un bouillon… (Oui, on est loiiiiiin de la fondue des montagnes où tu trempes des bouts de pain dans du fromage.)
Donc, après avoir partagé une fondue chinoise avec 4 tontons, 5 tatas et 6 cousins/cousines, on passe au dessert, et commencent à fuser les questions sur la vie de chaque cousin, cousine.
QUAND ARRIVE MON TOUR, C’EST SOUVENT LA MÊME INTERROGATION: “ALORS, T’AS UN COPAIN?”
Et souvent j’ai la même réponse:”Non.”, s’ensuit alors un jeu de questions/réponses entre mes oncles et tantes dont je suis spectatrice.
Tata n°1: – Non mais elle fait que de voyager, elle a pas le temps.
Tata n°3: – Si tu déménageais pas tous les 2 ans, peut être que t’aurais déjà un mari.
Tata n°2: – Et même, au moins un enfant.
Maman: Regarde ton cousin, il a déjà 2 enfants, alors qu’il a 3 ans de moins que toi.
Tonton n°1: Mais Linda, t’es pas lesbienne, toi, si ?
Tonton n°2: Laissez la, elle prend son temps. De toute façon si ça termine par un divorce , ça fait perdre non seulement du temps mais de l’argent. Bon, on joue aux cartes ?
Une fois qu’ils ont débattu sur la théorie de l’enfant qui a plus de 30 ans et qui n’est toujours pas casé avec un pavillon (et une merco!), j’ai mon droit de réponse.
“JE CROIS QUE J’AI JUSTE PAS RENCONTRÉ LA BONNE PERSONNE.”
Je vois bien dans leurs yeux que la réponse n’est pas suffisante, qu’il y a forcément un truc qui cloche chez moi, peut être un sort, ou pire, que dans ma vie antérieure j’aurai fait quelque chose aux hommes et que je le paie aujourd’hui…(sympa l’ambiance.) Oui…En famille, et particulièrement asiatique, il y a beaucoup de discussions simples qui s’entremêlent avec le mystique, je le conçois.
Et c’est vrai que c’est compliqué de rencontrer quelqu’un quand on voyage beaucoup. J’ai déménagé de 4 pays en 8 ans, construit différents cercles d’amis, à Singapour, Hong Kong et en Thaïlande. Et c’est vrai aussi, que mon métier en tant que Responsable marketing Asie, durant les 4 dernières années me faisaient voyager d’un pays à un autre. Tantôt à Taipei, puis la semaine suivante à Manille, Jakarta et le mois d’après à Kuala Lumpur… Je représentais cette fille qui ne tenait pas en place, toujours à gauche à droite, le mouvement incessant aux yeux de ma famille, et même de mes amis, sans parler des mecs qui me courtisaient et s’arrêtaient aussitôt… Pourquoi ? Ils traduisaient cette représentation de moi, peut-être par de l’instabilité ?
LA SENTENCE TOMBE. JE NE SUIS PAS LA FILLE MODÈLE.
Celle qu’on aimerait voir à côté de chez soi. La fille posée qui viendrait nous rendre visite tous les dimanches pour les déjeuners fondues chinoises. Celle qui a un boulot stable en bureau, CDI de 10 ans, celle qui a contracté 2 prêts immobiliers. Un pour sa résidence principale et l’autre pour son premier enfant, soi disant “pour la sécurité”. La fille modèle, qui, forcément, s’est marié avec LE garçon modèle, de préférence asiatique.
Vous visualisez?
Celui au parcours scolaire exemplaire, travailleur, avec mention, évidemment, qui est passé par les TOP entreprises, et comme il travaille à la défense c’est signe de réussite selon tes parents. Celui qu’on cite aux réunions de famille comme le modèle, la référence de tous les cousins/cousines. On en a tous un, un cousin comme ça. Le cousin de référence. Oui celui là même qui va reprendre les mots de son père “Du moment que tu as la sécurité de l’emploi, c’est le principal.”
OUI PARCE QUE CE QUI EST IMPORTANT POUR LES PARENTS, C’EST CE MOT. LA SÉCURITÉ. POURQUOI ?
Lorsque j’étais plus jeune, je trouvais cette réflexion assez primaire. Moi qui suis née française, à l’école on me disait que j’étais libre d’opinion, libre d’expression, libre de choisir qui je voulais être. Et, dans le même temps, je me sentais frustrée de devoir cocher toutes ces cases pré établies par ma famille, par souci de “sécuriser sa vie”.
C’EST EN DISCUTANT AVEC MA MAMAN, QUE PETIT À PETIT, J’AI COMPRIS.
J’ai découvert que la famille de ma mère, et celle de mon père avaient tout perdu à l’arrivée des Khmers Rouges au Cambodge (mes parents sont Cambodgiens d’origine Vietnamienne). Ils ont dû tout quitter du jour au lendemain. Maison, vêtements, affaires personnelles, voitures, souvenirs. Ils ont dû fuir, en famille. Ce trauma résonne encore parfois chez ma maman quand elle me raconte des anecdotes de son voyage à pied du Cambodge au Vietnam. Grâce à leur statut de réfugié de guerre, ils ont réussi à venir en France.
D’UN ÉTAT ARBITRAIRE QUI AVAIT RENVERSÉ SON SYTÈME ÉCONOMIQUE, DÉTRUIT SA RICHESSE CULTURELLE ET QUI EXTERMINAIT SON PROPRE PEUPLE, LE CAMBODGE , ILS ARRIVAIENT DANS UN PAYS QUI LEUR OFFRAIT TOUT. LA FRANCE.
La France, les droits de l’homme, l’accès à l’école et aux formations, un métier, la santé. Et surtout une stabilité et une sécurité. C’était alors les maître mots de ma maman. De ses frères et soeurs, pour eux et pour leurs enfants. Il faut qu’on profite de cet état de sécurité que nous offre la France. De cette chance, il fallait que l’on soit stable dans nos vies. Lorsqu’on est une fille, la réussite c’est de tomber dans les mains de ce garçon modèle qui assurera la pérennité de cette société idéalisée.
C’est avec de la compassion, et beaucoup d’empathie que j’ai compris. Le souci d’offrir le meilleur à sa famille, à ses enfants. De s’inquiéter de voir sa fille toujours en mouvement, d’un pays à un autre et qui ne puisse pas trouver cette stabilité, cette protection. Ils en oubliaient que c’était choisi et pas subi, que notre génération n’était pas la leur.
LEURS BLESSURES ET LEUR ESPOIR ÉTAIENT DIFFÉRENTS DES NÔTRES.
Je réalisais que cette génération d’enfants d’immigrés dont je faisais partie était chanceuse. Chanceuse, de ne pas avoir vécue ce que nos parents avaient traversé. Et je comprenais aussi que les problématiques qui les animent n’ont jamais été les nôtres, car nous sommes nés dans cette France qui comporte tous ses droits et ses privilèges. Pour nous, c’était acquis.
Finalement, vous ne pensez pas que peu importe d’où l’on vient, d’une famille asiatique, française, arabe ou africaine, la génération que l’on compose n’a pas les mêmes rêves que la précédente, ni celle qui nous suivra ?
Et je me demande alors, est ce que les codes qu’une génération peut nous imposer, sont en fait des projections de leur propre peurs dans le souci de nous protéger?
Est ce que peut être, nous manquons de communiquer pour mieux comprendre les rêves et réalités de chacun ?
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