Dzui Fest 2023 : la bouillonnante scène rap vietnamienne

Article écrit par Marion S.

Dimanche 29 octobre 2023 se tenait pour la première fois à Paris, un concert avec un line up composé à 100% d’artistes rap vietnamiens. À l’affiche : la promesse d’une programmation des plus underground.

Les étoiles montantes du rap vietnamien

Ce sont Minh Lá Me (@minhlame) et Nhi (@nhi_cotine) qui ont introduit cette soirée inédite au cœur de la capitale. En première partie de la date, les deux jeunes artistes ont ambiancé la salle sur des sonorités pop. Un démarrage de soirée tout en douceur à la Bellevilloise.

Puis, Mess (@mess.vndtown) a pris place sur la scène de la Bellevilloise. Elle entre dans le vif du sujet en proposant notamment des titres de son album à venir “Summer Daisy”. C’est d’ailleurs elle qui reviendra en fin de soirée avec un DJ set pour clôturer le festival sur les multiples sonorités de son répertoire : hip hop, k-pop, pop, electro….

Ensuite, c’est Datmaniac (@datmaniaccc) qui déboule. Par son flow hyper énergique, il met tout le monde d’accord ! Vient ensuite Minh Lai (@minhlai.eist), fondateur du collectif le plus en vue du Vietnam “Under The Hood”. Puis c’est Anh Phan (@anhphansgn) qui passe sur scène. Également membre du même collectif, il est connu pour ses titres provocateurs tels que “Phú Quý Bò Viên” (ft. Tùng Chùa) (sur lequel je reviendrai plus tard). Il est suivi de Sixtyuptown (@sixtyuptown) qui vient à son tour interpréter quelques titres.

Entre la scène et la fosse, un vrai échange s’opère. La majorité des artistes s’adresse au public en vietnamien à l’exception de quelques mots énoncés en anglais. Je ne comprends pas, excepté les quelques “cảm ơn” que j’arrive à intercepter. Alors je tends l’oreille vers une voisine qui fait la traduction auprès des personnes qui se trouvent à ses côtés. Une bonne partie de la salle est vietnamophone et je le remarque notamment lorsque l’auditoire se met à scander d’une même voix certains refrains.

Une bonne partie du public est composée de vietnamiens venus en France dans le cadre de leurs études. Mai Thu, l’une des organisatrices du festival, me le confirmera plus tard et m’indiquera que ce sont d’ailleurs des jeunes de la communauté d’étudiants vietnamiens de Paris qui l’ont sollicitée pour créer un tel événement afin qu’ils puissent retrouver “un bout de Vietnam” dans la capitale.

Des sonorités familières

Venue à ce concert dans un objectif de découverte, j’ai été surprise de l’impression si familière que ce concert m’a donné.

Il faut savoir que ma connaissance de la musique qui existe au Vietnam s’arrête aux chansons qu’écoutaient mes parents, oncles et tantes et aux iconiques DVD Paris By Night* que j’adorais visionner plus jeune (je me prêtais d’ailleurs volontiers au jeu du karaoké avec mes cousins bien que je ne puisse comprendre un seul mot de ce que je pouvais lire et chanter).

Ce n’est que depuis peu que les noms de Suboi ou encore Tlinh apparaissent régulièrement dans mes playlists. Ayant jeté un œil sur l’émission Rap Viêt, j’avais entendu parler de Minh Lai mais c’était bel et bien le seul nom qui me faisait écho. En allant à cet événement, je misais tout sur une découverte en live.

Dès le départ, s’il y a bien une chose qui m’a interpelé, c’est de retrouver tous les codes qu’un.e auditeur.rice de rap connaît : par leur style vestimentaire, leur gestuelle ou encore par leurs instrus. Je ne parle pas vietnamien mais à entendre leur manière de poser, leur flow et leur débit de parole, ça kick sec et bien ! 

Autre point important, le rap vietnamien n’est pas le fruit d’une réinvention. Il est important de mettre cela en évidence parce qu’avec un bagage occidentale, c’est peut-être quelque chose que l’on peut se prêter à imaginer ou à s’attendre. Et c’est aussi peut-être intérieurement l’une des options que j’avais envisagée. Trouver un rap qui propose un “nouveau genre”. Or ce n’est pas le cas et cela n’en est pas moins déplaisant, au contraire !

Comme ce qui se fait pour le rap en France ou au-delà en Europe, les artistes s’approprient des codes existants et les utilisent “à leur sauce”.

Entre le flow plus à l’ancienne de Datmaniac, les sonorités plus planantes et mélodiques de Mess et les instrus plus drill et trap des titres de Minh Lai ou Anh Phan, nous faisons tout de même le constat que leur musique est empreint d’une influence asiatique. Nous la retrouvons par exemple dans la musicalité de certaines prods qui sonnent différemment et sont teintées de tonalités “Asie”. 

C’est du rap, vietnamien.

Une histoire de transmission par la musique

Je ne croyais pas si bien penser lorsque j’évoquais le fait que l’on retrouve les codes du rap que l’on connaît, puisque je me suis surprise à reconnaître un sample. Et il va sans dire que le sample constitue un pilier important de l’histoire du rap en France et dans le monde.

Lorsque Anh Phan a interprété le titre “Phú Quý Bò Viên” (2021) avec Minh Lai à ses côtés (ndlr, initialement en featuring avec Tùng Chùa), j’ai été étonnée de reconnaître dans le refrain, une rythmique qui ne m’était pas inconnue. En poussant l’investigation plus loin, je suis retombée sur le titre de Chế Linh, “Nhớ Người Yêu” (1992), que j’avais, plus jeune, l’habitude d’entendre dans la voiture lors de nos sorties familiales. Je connaissais mieux cette chanson avec l’interprétation de Như Quỳnh & Trường Vũ (par sa présence dans notre DVD PBN* !) et il existe sur internet des reprises faites par plusieurs autres artistes. 

Lorsque j’ai voulu confirmer mes hypothèses, je me suis tournée vers ceux qui l’avaient interprété au Dzui Fest. C’est Minh Lai qui a apporté les réponses à mes questions. J’ai ainsi compris que le refrain présent dans le titre de Anh Phan avec Tùng Chùa était un sample d’une chanson de Tùng Chùa lui-même. Il est très probable que ce dernier se soit lui-même inspiré de Chế Linh pour cette réinterprétation.

J’ai également compris que Tùng Chùa était un chanteur de rue qui interprétait majoritairement des mélodies que l’on chante en prison (“Nhạc Chế Trong Tù”, littéralement “musique parodique en prison”). Il nous a quitté en 2022, paix à son âme. Si vous souhaitez approfondir son répertoire, il existe bon nombre de vidéos de lui chantant dans la rue, une guitare entre les mains.

"Quel est ton lien à l'Asie ?"

Après le concert, j’ai mis ce titre on repeat dans ma playlist. J’éprouvais un grand sentiment de satisfaction d’avoir pu trouver dans une écoute, le marqueur d’une transmission culturelle par la musique et de trouver toute la dimension émotionnelle à laquelle cette écoute est reliée. Comme si une boucle était bouclée.

Ce parcours pour essayer de remonter le temps et reconstituer mes souvenirs m’a fait repenser à une question que l’on m’avait posée un jour : “Quel est ton lien à l’Asie ?”. Je me souviens avoir répondu de manière spontanée : “la nourriture”. À cela, on m’avait répondu “et quoi d’autre ?”. Il y aurait tant à répondre à cette deuxième interrogation, mais pour sûr maintenant, la deuxième réponse que je pourrai donner est : “la musique”.

Outro

Je salue les équipes organisatrices du Dzui Fest pour cette première édition très réussie. En espérant que ce soit la première d’une longue série. Un grand bravo pour cette programmation pointue et de qualité. Il n’est pas toujours facile de faire venir des artistes internationaux, par la distance et les démarches administratives, il me semblait important de le souligner.

C’est une grande fierté d’avoir pu assister à ce concert et d’avoir pu être témoin de ce moment de communion entre des artistes venus directement du Vietnam et le public français, vietnamien, vietnamophone ou pas.

L’existence de ce type d’événement montre qu’il existe un vrai bouillonnement artistique et culturel au Vietnam et c’est un signal fort de voir qu’il puisse s’exporter et être valorisé par delà les frontières.

La scène rap vietnamienne n’a définitivement rien à envier ! 

Un big up à Cédric @seedreeksphotography pour les photos et un grand merci à Mai Thu et Minh Lai pour les réponses à mes questions.

Références : 

*Paris By Night (PBN) : Série en direct sur vidéo présentant des émissions de variétés musicales en langue vietnamienne produites par Thúy Nga. Première diffusion : 1983.

En poussant les recherches, il semblerait que le titre “Nhớ Người Yêu” date d’avant 1975 : Voir sur Youtube

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