NODEY

Description de l'épisode

Des sonorités électroniques, mixées à de la musique traditionnelle et pop vietnamienne. Atypique, unique, sophistiqué, bercée par la douce nostalgie de la musique de mes parents.

J’avais jamais entendu ça auparavant. L’artiste m’intéresse, et je me rends compte alors qu’il a produit des sons pour Youssoupha, Orelsan, Seth Geko.

NODEY EST DJ, PRODUCTEUR, BEATMAKER.

Aujourd’hui, il a quitté la France pour vivre dans le pays de ses origines, le Vietnam. Il nous raconte comment il est parti pour son premier voyage en Chine, et pourquoi il a quitté la France pour s’installer au Vietnam et ce qu’il ressent là bas.

 

On parle aussi de ses modèles d’inspiration, ses conseils à la jeune génération et de son expérience avec la méditation, puis cette question un peu difficile: “c’est quoi être heureux?”

Comment tu as commencé à t’intéresser à la musique ?

La musique c’est un kiffe depuis toujours. Depuis que je suis tout petit, mes parents sont vachement investis dans la communauté vietnamienne. Mon père gérait un centre culturel vietnamien dans le 5ème arrondissement.

DEPUIS QUE JE SUIS PETIT, J’ENTENDAIS DE LA MUSIQUE VIETNAMIENNE.

Puis sont arrivés les études, le collège, le lycée, et après le bac, il faut choisir ce qu’il faut faire. Après un an à la fac en économie, j’ai choisi de faire un truc qui me plaisait plus, donc j’ai commencé à faire des études d’ingénieur du son. Et dans ma classe, j’ai rencontré des mecs qui faisaient de la musique avec des machines.

Il fallait que je trouve un stage, moi je kiffais déjà la culture hip hop, à cette époque je faisais déjà du graffiti. J’ai trouvé un label de rap dans le 18ème. C’est comme ça que je me suis intégré. Je suis d’abord rentré en tant qu’ingénieur du son et après j’ai balancé mes productions, et c’est là que j’ai commencé à faire de la musique pour les rappeurs.

 

AVANT J’ENREGISTRAIS LES RAPPEURS, ET ENSUITE J’AI COMMENCÉ À FAIRE LES DEUX, À ENREGISTRER ET À FAIRE DE LA MUSIQUE POUR EUX.

La musique j’ai toujours kiffé secrètement. J’ai jamais vraiment voulu en faire, peut-être à cause de l’éducation viet. J’ai une famille qui est assez ouverte culturellement mais c’est pas une famille d’artistes, donc c’était un peu obscur pour moi.  Et j’avais ce truc un peu pragmatique viet « Je vais faire ingénieur du son, c’est un truc que je comprends, et la musique c’est à côté. »

 

J’AVAIS CE TRUC QUI ME DISAIT « ÇA NE RAPPORTE PAS D’ARGENT. ».

Et en fait, petit à petit, la musique s’est plus développée, j’ai commencé à faire rentrer des sous, et je me suis dis « Je vais lâcher mon taff d’ingé son et me lancer complètement dans la musique. » Et ça, c’était vers 28 ans, où j’ai vraiment fait que de la musique.

Quel genre de musique t’a influencé ?

Par plusieurs influences. Comme je suis un enfant issu de la communauté viet, tu sais tous les ans, il y a le Têt (Nouvel an Vietnamien), les fêtes vietnamiennes. Il y avait toujours en background la musique viet qui traînait.

 

DE LA MUSIQUE UN PEU OLD SCHOOL, SOIT DU CAY LUONG, DU BOLERO.

Puis, j’ai kiffé la musique grâce à la radio. À mon époque, il y avait la dance à mort, la musique FM, ce qui passait sur FM Radio, NRJ, Skyrock. Et puis à 12/13 ans, le rap. La culture Hip Hop. Quand t’arrives à cet âge, tu as besoin d’identification. Puis après j’ai écouté autre chose, comme la musique électronique.

 

LA CULTURE HIP HOP, C’EST VRAIMENT LE TRUC QUI M’A DONNÉ LES BASES CULTURELLES POUR POUVOIR M’IDENTIFIER.

Qu’est ce qui t’as poussé à partir de France ?

J’ai eu un truc vers la trentaine, où j’étais dans ma zone de confort, je sentais que je commençais à tourner en rond. Déjà il y a un truc, c’est que le rap, ça reste une musique de jeune. Et j’ai eu une sensation, passé 30 ans, que j’ai commencé à me sentir vieux dans le rap parisien.

J’étais DJ, et quand je mixais en soirée, je me rendais compte que toute la salle était plus jeune que moi, qu’ils ont 10/12 ans de moins que moi. Même les DJ sont plus jeunes que moi, et tu sens qu’il y a une déconnexion. Je me suis dit:

 

« EST-CE QUE J’AI PAS FAIT LE TOUR DE LA CHOSE ? ». J’AI EU CETTE SENSATION D’ÊTRE TROP CONFORTABLE.

Et aussi à la trentaine, mes potes commençaient à avoir femme et enfants, je ne me sentais pas encore prêt pour ça, et j’ai commencé à aller voir ailleurs, par le voyage et par l’exploration musicale. J’ai commencé à sortir de la musique rap.

 

J’AI FAIT DE LA MUSIQUE DANS L’ART CONTEMPORAIN, C’EST ÇA QUI M’A EMMENÉ À MON VOYAGE EN CHINE.

J’avais rencontré un collectif d’artistes contemporains chinois qui s’appelle Asian Dope Boys. Sur internet, je tombe sur l’une de leur performance: je vois des asiatiques à poil en train de performer, en Chine. J’ai trouvé ça trop bizarre de voir des asiats faire des trucs comme ça.

 

Je leur ai envoyé un mail en leur disant que je venais juste de sortir un EP « Atrahasis », ils m’ont répondu 2 heures après en me disant « ça tue ce que tu fais, viens on se capte à Berlin, on a une expo ». Je les ai rencontrés à Berlin, ensuite ils m’ont dit:

 

« VIENS EN CHINE, JE MONTE UN OPÉRA D’ART CONTEMPORAIN, SI TU VEUX, T’ES DE LA PARTIE, ON TE RECRUTE ».

C’est comme ça que j’ai bougé en Chine.

Donc en 2015, mon premier voyage en Chine, on bosse ensemble. Et je nourris l’envie de voyager. J’ai voyagé avec eux pour leur opéra, et l’art contemporain. En 2016, j’ai commencé à bosser mon 1er album, il a été conçu en Chine, au Vietnam et en France.

 

Quelle est la différence de travailler en France, en Chine et au Vietnam ?

C’est difficile de catégoriser par pays. En fait, j’ai pas changé de pays, mais j’ai aussi changé de milieu.

En France, je bossais surtout avec des rappeurs. En Chine, j’ai bossé dans l’art contemporain, donc c’est vraiment un autre délire. C’est différent, mais je suis pas sûr que la différence soit liée à l’origine du pays. C’est plus le milieu. Socialement, culturellement, c’est différent.

Qu’est-ce que t’as apporté ton initiation à la musique contemporaine?

Je me suis rendu compte que ça ne sert à rien de s’imposer trop de limites ou de barrières, tu peux créer ce que tu veux. C’est comme si tu avais grandi dans ton village, et que tu voyais d’autres villes.

 

TU TE RENDS COMPTE QU’IL Y A D’AUTRES POSSIBILITÉS, D’AUTRES GENS, TU RENCONTRES D’AUTRES MILIEUX.  

Et en termes de business, tu vois qu’il y a d’autres manières de faire de l’oseille. Je ne connaissais pas les résidences artistiques par exemple. Il y a des gens qui m’hébergent et qui me paient pour faire la musique que je veux. C’était nouveau ça pour moi.

Avant je vendais des instrus aux rappeurs, parfois les rappeurs ne veulent pas donner d’argent. Et tu dois faire de l’argent avec la Sacem.

Je vois qu’il y a d’autres possibilités. Que l’argent peut se trouver ailleurs. L’expression est large, et tu peux voir d’autres choses.

 

Qu’est ce que tu ressens au Vietnam depuis que tu t’y es installé ?

Je sens que le Vietnam est en train de prendre un autre pallier de vitesse. Il y a une énergie qui est en train de monter et les Viet Kieu (Vietnamiens qui sont nés et/ou ont grandi à l’étranger) peuvent apporter un savoir-faire.

Je bosse beaucoup en pub, et là tu vois que ça explose. Il y a 2 ans quand je suis arrivé, ils ne prenaient que des réalisateurs occidentaux. Ils ne prenaient jamais de viet. Peut-être parce que : 1/ il y avait pas de savoir-faire, et 2/ Ils se disaient que c’était mieux de prendre des occidentaux.

 

JE VOIS QUE C’EST EN TRAIN DE CHANGER.

Ils prennent de plus en plus de viets kieu, qui ont grandi, qui ont étudié à l’étranger, qui ont un savoir-faire un peu plus moderne, plus industriel, plus occidental, mais qui ont quand même une identité viet. Et depuis peu, je sens qu’ils prennent des réalisateurs viets.

Les vietnamiens avec qui je travaille sont sensibles à ma musique, ils me disent:

 

“MÊME SI T’ES NÉ, T’AS GRANDI EN FRANCE, TA SENSIBILITÉ ELLE EST QUAND MÊME VIET”.

Alors que même moi je me sens pas vraiment viet, je parle mal viet. Mais j’ai un truc viet dans mon sang. Et je m’en rends compte aujourd’hui à 35 ans, que j’ai grandi avec le boléro, le Cai Luong, c’était une musique en toile de fond, ça fait partie de mon ADN. 

Je voyais il y a 4 ans, les musiciens en hip hop, il y avait encore des lacunes, ça commençait. Aujourd’hui, je vois les gamins de 20 ans qui ont tous grandis avec internet, influencés par la culture mondialisée, et ils apprennent avec les tutos. J’écoute ce qu’ils font en musique et je me dis, c’est chaud.

Ici, l’internet haut débit est beaucoup mieux qu’en France. C’est « le bond technologique », avec internet, ils apprennent plus vite qu’en occident.

 

Est-ce qu’il y a des personnes qui t’ont inspiré sur ton parcours ?

 Je l’ai déjà dit dans quelques interviews, pour moi c’est un mec comme DJ Mehdi. À la base, c’est un DJ qui vient du rap. Il a fait des instrus pour un collectif qui est très connu dans le rap français qui s’appelle la Mafia k’1fri: tous les sons de 113, tontons du bled, c’est lui.

Puis après ce collectif Rap, il est allé dans un collectif qui s’appelle Ed Bangers. Typiquement, ce mec là, c’est le premier gars, je me suis dit « il vient d’un collectif le plus racailleux du Rap français, rap de rue, rap violent, puis il est passé à de la musique électro, ultra branchée, pour des bourges . » Je l’ai interviewé, et c’est lui qui m’a fait comprendre un truc simple :

 

“T’AS PAS DE LIMITES À TE FIXER, TU PEUX FAIRE CE QUE TU VEUX”.

C’est ce qu’il a fait et c’est vraiment une influence pour moi.

Jodorowsky, j’aime bien les artistes multidisciplinaires. Il fait du tarot tous les mercredis, il a 80 ans passés, il continue à tirer le tarot gratuitement dans le 12eme. Il réalise des films, il fait des BD. Il a fait Holy Mountain, c’est la référence.

Quels sont les conseils que tu donnerais à la jeune génération ?

Premièrement, je dirai, soyez curieux. Juste, explorez. Ça peut faire peur de sortir de sa zone de confort. Et je trouve qu’en fait c’est ultra enrichissant. Rien ne t’empêche de revenir dans ta zone de confort.

 

CETTE CURIOSITÉ, ELLE PEUT SE FAIRE GÉOGRAPHIQUEMENT EN ALLANT DANS D’AUTRES PAYS, MAIS ELLE PEUT SE FAIRE AUSSI CHEZ TOI.

Par exemple au lieu d’aller sur les mêmes sites internet, tu vas sur d’autres sites. Au lieu de lire les mêmes bouquins, d’écouter les mêmes musiques, regarder les mêmes types de films. “Découvre, apprend. Essaye de pas trop avoir de préjugés, et découvre d’autres trucs.”

 

Justement en parlant de découverte, j’ai vu que tu avais expérimenté le village de Thich Nhat Hanh (moine bouddhiste vietnamien militant pour la paix) , le village des pruniers en Thaïlande, peux tu nous en parler ?

 

Quand tu m’as demandé pourquoi j’étais parti de France, je pense que physiquement je sentais que j’étais en train d’étouffer. Le matin je me levais, j’avais du mal à respirer. Je me suis dit que c’était quelque chose que je travaille.

 

J’AI ÉTUDIÉ, ET J’AVAIS BESOIN DE COMPRENDRE LA MÉDITATION. J’AVAIS BESOIN D’OUTILS POUR APPRENDRE ÇA.

Je peux pas te répondre clairement, mais je pense qu’on vit dans un monde où il y a beaucoup d’informations, ou on est étouffé par les événements, les téléphones. Et vu que je suis assez curieux, je me mange toutes les infos, je filtre pas, j’arrive pas à gérer. Et l’oncle de ma femme est moine au village des pruniers, c’est un disciple de Thích Nhất Hạnh, elle m’a embarqué, et on l’a fait ensemble.

Ils ont développé leur propre zen à eux. Maintenant je médite un peu tous les jours, et ça m’a permis de mieux me recentrer, sur moi.

Est-ce que tu peux nous parler de ton actualité ?

Sur les 2 dernières années, j’ai bossé mon premier album. J’ai fait un album qui retranscrit un peu mes voyages. J’ai sorti mes 2 premiers singles: Ghost et Krishna. Ce sont les influences de mes voyages en Inde et en Chine.

 

CET ALBUM C’EST VRAIMENT TOUTE CETTE PÉRIODE QU’ON A ÉVOQUÉ OÙ J’AI VOYAGÉ, OÙ J’AI EU BESOIN DE ME CHERCHER.

Une dernière question Nodey, c’est quoi pour toi être heureux ?

C’est d’être en paix avec soi-même. Quand t’es en paix avec toi-même, t’es en paix avec ce qui se passe autour de toi.

 

QUAND T’ARRIVES À T’ACCEPTER, T’ARRIVES À ACCEPTER CE QUI SE PASSE AUTOUR DE TOI.

Quand je dis accepter, ça ne veut pas dire que tu n’es pas acteur au changement, tu acceptes qu’il y ait des injustices, et tu es suffisamment en paix pour pouvoir améliorer ce que tu estimes injuste. Il y a la nuance dans le terme accepter.

Le clip Đôi Khi ❤️, en feat. avec la rappeuse vietnamienne, Suboi, réalisé par Anh Phi Trần (Cako).

Pour écouter l’album 🙂 de Nodey , sorti le 29 octobre 2020, c’est par ici

Ici Vietnam, le festival annuel qui met en valeur la culture et le cinéma vietnamien, auquel j’ai participé le 23 et 24 Octobre 2020, a projeté le premier épisode d’un film documentaire de trois épisodes:

“The Nodey Process” de Maël Le-Hurand , Vincent Nguyen et Pierre Tam-Anh Le Khac. On suit Nodey à Paris, Shanghai et sa nouvelle vie au Vietnam…

Pour suivre l’actualité d’Ici Vietnam Festival: @icivietnamfestival

Banh Mi Podcast – Je rencontre Pierre Tâm-Anh, l’auteur de la série The Nodey Process, dans l’épisode 4 de Banh Mi Podcast 🙂 Pour écouter notre discussion, la genèse de la série documentaire, l’évolution du Vietnam avec cette nouvelle génération de créatifs… c’est ici: banh-mi.co/media/les-interviews/