Article écrit par Mathieu Garcia.
Chaque parcours d’exilé.e est à la fois personnel et porteur d’échos. La fiction de Pascal Marcel, Un aller simple (publiée chez les éditions Maïa), écrite à partir de la vie de ses parents, fait partie de cette vaste galaxie de récits qui ont traversé les mers et les océans et qui ont forgé les nouvelles bases mémorielles de nombreuses communautés à travers le monde. Il n’y aura pas de fin pour ce mouvement littéraire car il y aura toujours des voix qui s’élèveront pour dire : j’existe, je suis aussi français.e que vous, ma vie et celle des premières générations d’exilées méritent et mériteront d’être transmises. D’un exil jusqu’à l’acceptation d’une nouvelle vie, Pascal Marcel a écrit un livre essentiel et terriblement d’actualité où l’exil s’écrit aussi au présent.
C’est quoi être français.e ?
Il existe mille et une façon d’être français.e. Un aller simple décrit une histoire française, dont certain.es auraient tendance à oublier. Hảo et Tiến ont vécu un siècle français de décolonisations. Au grès du bon vouloir de la France, le couple va subir d’autres épreuves et être témoin des indépendances de Madagascar et de l’Algérie. Être français, c’est aussi reconnaître la force de chaque récit diasporique. Comment ne pas s’émouvoir devant la violence des discriminations endurées par Hảo au Việt Nam et en France. Comment ne pas se sentir affecté.e face à l’injustice perpétrée à l’encontre de Tiến, une injustice symptomatique des souffrances et épreuves vécues par de nombreux exilé.es et immigré.es à travers le monde. Être français.e c’est avant tout s’accepter soi-même et l’autre, avec ses multiples identités et héritages, qui mériterons un jour d’être retrouvés et célébrés.
« Métisse, je ne l’ai pas choisi. A Quảng Yên, la ville où j’habite, on m’interdit les abris anti-bombes. Plus tard, en France, on me criera de retourner dans mon pays. »
Un récit métissé
Jusqu’à sa fin, je n’ai pas pu m’arrêter de lire Un aller simple. Cette fin m’a ému et m’a donné envie de lire d’autres récits de vie, écrit par celles et ceux qui ne sont ni d’ici ni d’ailleurs, mais sûrement les deux et qui détiennent en eux des parcelles d’une nouvelle mémoire. Les parcours de vie de Hảo et Tiến, deux métisses franco-vietnamiens de Quảng Yên et Lạng Sơn, font écho aux uniques récits des autres réfugié.es, immigré.es et exilé.es, d’aujourd’hui et d’hier. Pascal Marcel a voulu rendre hommage à ses parents et il le fait de la plus belle des manières. Pascal Marcel n’hésite pas à rendre visible les nombreuses conséquences désastreuses de la colonisation française sur les corps et les âmes. Les quelques photos insérées au sein du récit permettent une respiration et nous garantit de ressentir d’autres émotions.
« Une fois de plus, nous voilà, nous les sous-officiers et soldats de la coloniale, nous les métis, tirailleurs sénégalais et bientôt les Harkis, nous voilà à nouveau chair à canon. »
La grande histoire
Un aller simple est non seulement un beau récit sur la persévérance mais aussi un ouvrage qui explicite la dureté des discriminations subies dans le pays natal et dans le pays d’accueil. L’exil est par définition non souhaité, et après cet aller simple, un autre fardeau attend les exilé.es : un atterrissage complexe. Sur leur chemin, Hảo et Tiến ont pu trouver de l’aide auprès des autres membres familiaux et aussi auprès d’autres familles de la diaspora, écartelées entre l’impératif de l’intégration et le confort nécessaire de la pérennisation culturelle et mémorielle. Le sujet de l’exil est au cœur de ce récit, l’auteur est habité par ce thème et celui-ci imprègne notre après-lecture. La Grande Histoire n’est pas que celle des dates fatidiques, les 1945, 1954, 1962, 1968 et 1975. La Grande Histoire est aussi le fait de ces noyaux familiaux et amicaux qui ont récrée des nouveaux vietnams, laos et cambodges, partout où cela était nécessaire.
« Les pieds-noirs, comme nous les réfugiés d’Indochine, retournent vers une métropole inconnue. Comme nous, c’est l’exil forcé pour une destination incertaine. »
Tout comme l’Humain ne pourra jamais cesser de rêver, les récits des exilé.es de la diaspora seront toujours nécessaires pour celles et ceux qui les produisent et pour ceux et celles qui les lisent et les écoutent. L’exil est souvent synonyme de silence, Pascal Marcel ne l’entend pas de cette façon et son livre, Un aller simple, rejoint ainsi la bibliographique déjà conséquente et indispensable des œuvres vietnamiennes diasporiques. À chaque exil son aller simple, à chaque exilé.e son Việt Nam.
Pour aller plus loin
Je vous partage ici quelques très beaux autres récits et créations des diasporas vietnamiennes et cambodgiennes :
- Sống de Hài-Anh et Pauline Guitton (chez Ankama)
- Le podcast Vietnam-sur-Lot de Alix Douart (six épisodes de 30 minutes) : l’histoire de sa famille et du CAFI à Sainte-Livrade
- Le podcast Ma Tonkinoise : une enquête familiale dans les mémoires enfouies de l’Indochine française, signée par Hanaë Bossert
- Le silence de mon père de Doan Bui (chez l’Iconoclaste éditions)
- Des rêves d’or et d’acier de Emilie Tôn (Hors d’Atteinte éditions)
- Décolonisons-nous de Frank Lao (JC Lattès éditions)
- Về de Mai (possible à l’achat via La Librairie Phénix à Paris)
- Le Privilège de la banane de Vu Quan Nguyen Masse (chez Bánh Mì édition)
- Les âmes errantes de Cécile Pin (chez Editions Stock)
- Demain il fera jour de Linda Mam et illustré par Diana Lim
- Indochine, la colonisation oubliée (Nouvel Obs, hors-série dirigée en grande partie par Doan Bui)
- Ma grand-mère et le Pays de la poésie de Minh Tran Huy (Flammarion)
Certains et certaines ont fait le choix de retourner aux sources ! Vous pouvez écouter leurs témoignages dans Back to the Roots au Việt Nam et au Cambodge, deux épisodes du podcast Bánh Mì !
Résumé de l'éditeur
Évoquer l’Indochine, c’est évidemment aborder l’ambition coloniale délétère de la France, celle dont on parle si peu dans les livres d’Histoire. Évoquer mes parents, c’est mettre en lumière le destin de deux enfants métis auxquels la France a assigné un tempo, sans se soucier ni de leurs vies ni de leurs envies.
Hảo va tout au long de sa vie subir le rejet et le racisme au Vietnam, puis en France. Elle n’est ni d’ici ni d’ailleurs. Tiến, lui, va connaître l’âpre vie des enfants de troupe. Naturalisé, il devient soldat de l’armée française en juin 1947.
De leur rencontre à Quảng Yên, dans le Vietnam du Nord, va naître un absolu. Ensemble, ils vont connaître le départ du Vietnam et une nouvelle vie en métropole, celle de l’exil en novembre 1954.
Fils de parents métis exilés de leur terre d’origine, le Vietnam, Pascal Marcel a toujours cultivé sa singularité et ses attaches à ce lointain ailleurs en lisant, se documentant et en apprenant sa musique, sa langue. Au départ, il a écrit ce récit pour transmettre à ses enfants un témoignage sur leurs origines familiales.
Sources
Editeur :
Un aller simple
Un aller simple de Pascal Marcel
Editions Maïa, catégorie Histoire, 17 euros
© Images : Droits réservés.


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