Article écrit par Mathieu Garcia.
Mélody Ung, illustratrice qui collabore avec Banh Mi Média depuis la création du podcast, s’est prêtée au jeu de l’interview pour raconter son parcours et ce qui l’anime dans ses projets.
Peux-tu te présenter à celles et ceux qui ne te connaissent pas encore ?
Je suis une illustratrice freelance qui collabore avec des maisons d’éditions, agences de communication, créateurs indépendants et associations comme Banh Mi Média.
Suite à ma reconversion, j’ai tout de suite commencé à dessiner ce qui me représente le plus en mettant en avant mon identité asiatique et plus précisément mes origines vietnamiennes. Cela a porté ses fruits car généralement les commandes correspondent bien à mon univers dont les premiers livres que j’ai illustrés : La cuisine vietnamienne illustrée, écrit par Nathalie Nguyen et Est-ce que tu as faim ? de Grace Ly.
Quelles sont tes actualités les plus récentes de ce début d'année 2025 ?
Je continue mes commandes d’illustrations personnalisées pour mes clients et participe régulièrement à des festivals de créateurs où j’expose et vends mes propres créations. Je développe en ce moment davantage mon univers en bande dessinée que je poste dans mon compte Instagram @ung.melody.
Tu as illustré deux très beaux livres de cuisine vietnamienne, écrit par Nathalie Nguyen, comment cette histoire a débuté ?
Je venais de terminer mon Masters à l’école de Condé qui était une des étapes de ma reconversion et avait travaillé avec mes premiers clients. Au détour d’une réunion de famille, j’ai mentionné mes projets à une cousine. Elle m’a partagé peu de temps après une story de Nathalie Nguyen, qu’elle suit sur les réseaux, recherchant une illustratrice pour son prochain livre avec un style d’illustration mignon et qui saurait illustrer de la food. J’en avais justement dessiné pour Banh Mi Média, tout était aligné. Du coup, je lui envoie mon portfolio en message privé en n’y croyant pas trop, pensant que mon message serait noyé dans la masse. Finalement Nathalie me recontacte et j’ai été choisie pour le projet !
Quelles sont tes inspirations pour les dessins culinaires ?
Je me base sur beaucoup de photos d’un même plat pour trouver l’angle et les couleurs qui le rendront le plus appétissant. Ce sont généralement des photos de mes restaurants préférés ou celles des plats de ma maman.



À travers ces deux livres mais aussi le livre jeunesse "Est-ce que tu as faim ?" de Grace Ly, le thème de la nourriture est essentiel au sein de tes créations, d'où te vient cette passion ?
Je crois qu’on aime tous manger de la bonne nourriture. Il y a l’idée de véhiculer des émotions “feel good” à travers mes illustrations. La nourriture est aussi une porte d’entrée à une culture, accessible à tous et j’aime partager la mienne en la sublimant.
Comment a démarré ton travail avec Grace Ly sur l'album jeunesse "Est-ce que tu as faim ? Une recette d'amour" ? Qu’est-ce que cette œuvre évoque pour toi ?
J’avais croisé Grace à plusieurs occasions et elle a pensé à moi pour son projet de livre jeunesse avec la maison d’édition On ne compte pas pour du beurre, car elle recherchait une illustratrice qui comprenne les émotions des personnages asiatiques vivant en France, et qui soit capable de dessiner de la nourriture, sujet important du livre.
L’histoire me touche énormément car elle aborde des sujets que l’on voit rarement dans des livres, comme les bisous aspirés, le style parfois un peu kitsch et flashy des mamies asiatiques et l’amour non verbal, exprimé à travers la nourriture, qui se retrouve d’ailleurs dans plein de cultures. C’est un livre que j’aurais adoré lire étant petite, que je suis fière d’illustrer et que j’ai hâte de lire à mon fils (qui est encore trop petit pour apprécier).
Quel est ton rapport à la vietnamité et à tes héritages ? Quels sont tes liens avec le Việt Nam mais aussi avec le Cambodge dont une partie de ta famille a dû traverser pour fuir la guerre ?
C’est une question assez complexe pour moi car la quête de ma vietnamité est en constante évolution. Mais en gros, je suis passée par plusieurs phases.
Comme beaucoup d’enfants d’immigrés, j’ai grandi en cachant ma vietnamité en dehors de chez moi, dans une volonté de m’intégrer le plus possible. Finalement, j’ai été beaucoup confrontée au racisme et plus particulièrement au travail. Réaliser que j’avais beau tout faire pour entrer dans le moule et qu’au final j’étais constamment renvoyée aux pires clichés liés à mes origines a été très violent pour moi. Ce qui a fait ressurgir encore plus fort la revendication de mon identité vietnamienne et m’a finalement poussé à en savoir plus sur mes origines. Chose que j’avais mise de côté.
Durant cette période de remise en question, un de mes oncles se met un peu au hasard à me parler de l’histoire de ma famille. Je découvre que mes parents vietnamiens sont, en fait, nés au Cambodge et qu’une partie de ma famille a fuit le génocide des Khmers Rouge. C’est un sujet indicible dans ma famille et je serais toujours reconnaissante pour mon oncle d’en avoir parlé car cela m’a permis de comprendre beaucoup de choses sur ma famille et sur moi-même.
Dans le livre "La cuisine vietnamienne illustrée", un beau remerciement est dédié à ta mère, quels sont les meilleurs plats et anecdotes venant d’elle ?
J’adore évidemment sa soupe phở qu’elle laisse mijoter pendant longtemps et qui me rappelle les saveurs de mon chez moi.
Mes comfort food préférés sont ceux qu’on trouve rarement au menu d’un restaurant, mais très communs dans les familles vietnamiennes : canh khoai (soupe à l’igname), xôi lạp xưởng tôm khô (riz gluant sauté avec des saucisses “lạp xưởng” et crevettes sèches), canh chua (une soupe acidulée souvent agrémentée de poisson).
Tu le dis dans ce même livre, ton père t'as appris la persévérance, comment cela se traduit dans ton parcours et dans tes nouvelles aventures de création ?
Oui l’histoire que mon père aimait me raconter (pour se faire mousser aussi) et qu’il était super nul en maths. Son rêve était d’avoir de meilleures conditions de vie et de devenir ingénieur. Et bien avec cette obsession en tête, il a étudié à fond, même la nuit à la lampe à pétrole jusqu’à obtenir une bourse pour étudier à la Cité Universitaire de Paris. Il ne m’a pas du tout transmis son amour des maths mais cette idée de se tenir à son objectif et ne rien lâcher pour y arriver petit à petit.
Dans un métier créatif, c’est très rare d’en vivre dès les premières années. J’ai beaucoup de fois remis en question mon choix de réorientation mais je ne me vois pas du tout faire autre chose. Mon métier, j’y pense tout le temps et je vis avec, c’est clairement une obsession. Et à force de persévérance, je constate que je m’en sors de mieux en mieux.
Peux-tu nous expliquer ce qu’est une risographie ?
La risographie est un type d’impression originaire du Japon où on va produire une image par superposition de couches de couleurs selon la technique de reproduction par pochoir. Il faut pour cela aller chez un imprimeur spécialisé qui utilise des machines spécifiques. Les caractéristiques principales de la risographie que j’apprécie sont la texture en grain qui donne un rendu vintage et la possibilité d’utiliser des couleurs fluo. Ces impressions sont en édition limitée car les pochoirs sont détruits après impression et on n’a jamais le même rendu d’une réimpression à une autre.
Ton portfolio démontre la diversité de tes techniques d'illustrations, peux-tu nous en expliquer quelques-unes ?
Je travaille généralement en digital mais il m’arrive pour certains projets de les réaliser à la main au crayon de couleur et au feutre. J’aime beaucoup travailler la composition des dessins avec soit un cadrage rapproché, soit l’inverse, une multitude de personnages dans un environnement.
Comment a commencé l'aventure Banh Mi ?
J’ai rencontré Linda vers la fin du confinement début 2021. Lors de nos échanges, Linda m’a parlé de son idée de lancer son podcast Banh Mi sur les cultures asiatiques. Fraîchement diplômée de mon école d’art, j’étais en train de constituer mon portfolio et voulais justement qu’il reflète mon identité vietnamienne. C’était donc le timing parfait pour contribuer à ce podcast avec le logo et les illustrations teaser des épisodes que j’ai proposé. Ça devait s’arrêter là mais après toutes ces années, je fais encore partie de l’aventure !
Commencé le 7 avril 2025 sur ta page Instagram, ta BD "Les gens qui te disent "Nihao"", publiée en trois parties, a rencontré un vif succès ! Cette BD reflète un racisme du quotidien que subissent les asiodescendants en France. Peux-tu nous en dire un peu plus sur cette création, ses prémices et son histoire ?
Cela fait malheureusement partie de mon quotidien dès que je sors de chez moi. J’étais de plus en plus agacée de cette situation qui a pris encore plus d’ampleur quand ça s’est produit alors que j’étais en poussette avec mon fils. J’avais ce sujet en tête depuis un moment mais ça m’a fait comme un électrochoc pour que je publie vraiment cette BD. Cela fait aussi par défaut partie du quotidien de mon copain et son intervention, que j’évoque dans la BD, m’a permis d’apporter une note humoristique pour ce sujet assez lourd.
J’avais surtout fait cette BD pour me soulager de ce poids et je ne m’attendais pas à autant de réactions. Je me rends compte qu’on est énormément de personnes de la communauté à subir ce problème mais aussi que ça fait tellement partie de notre quotidien qu’on n’en parle quasiment pas. C’est important de mettre des mots dessus, pour réaliser que ça n’est pas normal, qu’on est ensemble et que les choses doivent changer, au moins pour les générations futures. J’ai aussi été touchée par la réaction des partenaires car ils ont aussi un rôle d’allié à jouer.
As-tu des artistes à nous conseiller de lire, d'écouter et à regarder ?
Je relis parfois la BD Shortcomings d’Adrian Tomine que j’adore et qui a d’ailleurs été très bien adapté en film en 2023.
J’ai aussi un coup de cœur pour la BD La vie gourmande d’Aurélia Aurita que j’ai rencontré au Pop Women Festival de 2024 et qui est très sympa !
J’ai adoré la série Beef (Acharnée en français, sur Netflix) avec Ali Wong et Steven Yeun. Le documentaire les Rivières de Mai Hua a été une révélation pour moi. Ce sont des récits de vie intimes qui m’ont marqué et que je continue de garder en tête.
J’aime beaucoup les sons avec une base asiatique rétro qu’on retrouve chez Nodey et Onra. En ce moment je découvre Bolis Pupul.
Je fais partie d’un collectif d’artistes asiatiques féministes qui ont de très belles productions. Le collectif s’est formé il y a quelques années et il nous permet de nous réunir pour échanger sans jugement sur notre quotidien et notre travail. Voici une sélection d’œuvres :
– BD « Débridée » de Siyu Cao ;
– BD « Made in France » de Christel Han ;
– BDs « Banana Girl », « Les saveurs du béton » de Kei Lam ;
– BD « K-shock » de Christelle Pécout ;
– Les livres de cuisines illustrés « À la table d’une famille chinoise » de Eliane Cheung et dernièrement le très beau « À l’origine de la création » ;
– L’essai documenté « Vous, les Asiates… Enquête sur le racisme anti-asiatique en France » de Linh-Lan Dao ;
– Les films documentaires « Riz Cantonnais » et « Fréquence Julie » de Mia Ma ;
– Le film documentaire « L’homme de l’ombre » de Sandra Devonssay ;
– Les expositions photo comme « Contemplation » et les nombreuses réalisations filmographiques de Boulomsouk Svadphaiphane.
– Les créations de l’artiste pluridisciplinaire Boulomsouk Svadphaiphane comme son documentaire en préparation « Mémoires fantômes ».
Quels sont tes prochains projets ?
Je préfère parler de mes projets quand ils sont finis car je crains qu’ils n’aboutissent pas !
Quel ingrédient sublimerait ta baguette et par "baguette" tu pourrais remplacer par la société et le futur ?
J’ai eu un bébé en 2024 et j’aimerais qu’il grandisse dans un monde plus tolérant, où les spécificités de chacun sont acceptées et valorisées.
Et toujours plus de croquant (j’adore les pickles) pour croquer le bánh mì à pleine dent !
Crédits : photo de couverture © Chloé Vollmer-Lo pour Pop Women Festival
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