Article écrit par Marion S. Photos de couverture : Benjamin Pham.
Le samedi 28 juin avait lieu la soirée Sinh Tố dans la salle Petit Bain, aux bords de la Seine à Paris. Un Sinh Tố est une boisson du sud Viêt Nam qui s’apparente à un smoothie et cet événement était aussi rafraîchissant que le présageait son nom éponyme. D’abord pour la promesse du line up et ensuite, parce que cette soirée s’est révélée être un véritable moment de liesse, mobilisant un large public vietnamien et non vietnamien autour de DJ sets et de live d’artistes appréciés et attendus.
Les talents d’hier, d’aujourd’hui et de demain réunis
Ce 28 juin 2025, ce sont près de sept artistes qui se produisent sur la scène de Petit Bain pour cette première édition de Sinh Tố.
C’est l’incontournable Keight qui a lancé les festivités avec un set qui a conquis les plus ponctuels, arrivés pour s’échauffer et se délecter des propositions culinaires de Caphette venus spécialement investir les comptoirs du bateau.
À l’ouverture des portes de la salle, c’est Kiki Raikkonen, le frenchy basé à Saigon, qui a pris le relais ! Puis les DJ sets les plus hybrides se sont enchaînés avec : Nodey, qui se fait plus rare en France désormais qu’il vit au Vietnam, Anh Phi, DJ basé à Berlin et To Van Kao qui a poussé un peu plus les limites de la musique expérimentale en introduisant son set avec génie par quelques notes de Đàn bầu, instrument traditionnel vietnamien qu’elle pratique.
Au plateau, Nodey paré de ses plus belles grillz noires, assurait le double rôle de DJ et MC en présentant les lives qui s’intercalaient entre les sets. Il fallait compter sur la présence de Dyzel, qui a chanté quelques-uns de ses derniers titres, emmenant la foule à se mouvoir sur des sonorités V-pop et R&B. La queen du rap vietnamien Suboi a également honoré le public parisien de sa présence en venant interpréter quelques-uns de ses titres phares. Le public chantant en chœur confirmait la dimension exceptionnelle de sa présence, pour ce tout premier showcase en France.
Et puis, on ne peut parler de cette soirée sans le souvenir de ce moment suspendu offert par la légendaire chanteuse Hương Thanh et le musicien Guo Gan qui l’accompagnait avec son Erhu, instrument traditionnel chinois à corde. Moment inédit où les sets effrénés se sont arrêtés pour laisser place aux “berceuses” chantées devant un public surprenamment attentif.
Une soirée à Saigon
Entre sonorités traditionnelles de nos aînés et musiques d’aujourd’hui, la diversité des univers des artistes a su créer un véritable pont entre les générations. Les sonorités des musiques traditionnelles vietnamiennes, mêlées aux sonorités vinahouse ou encore à du rap français, étaient un pur délice.
Dans le prolongement d’une chaude journée d’été, c’était un véritable moment de célébration, où la ferveur collective était palpable et où la moiteur de la salle faisait de Petit Bain, un bout de Saigon comme si on y était.
Les artistes se sont également réunis autour d’un fort message militant puisque l’événement, en partenariat avec ÉÈ Studio et Ici Vietnam Festival, soutenait le collectif Vietnam Dioxine qui, avec Tran To Nga, poursuit le combat contre l’agent orange.
Une consommation culturelle qui se diversifie ?
Deux sentiments se mélangent, fierté et reconnaissance. Tout d’abord, la fierté de voir la diaspora vietnamienne se célébrer avec autant d’enthousiasme et puis reconnaissance de faire partie de cette ère où l’accès à ce genre d’événements se démocratise et participe à nourrir notre propre manière de vivre notre “vietnamité”, en tant que vietnamiennes et vietnamiens de France, en partageant cette culture dans des lieux festifs ancrés dans la vie parisienne.
Ces dernières années et ces derniers mois, j’ai comme l’impression d’observer quelque chose de nouveau dans la découvrabilité et la consommation de la culture vietnamienne par sa diaspora vivant en France.
Avec l’avènement des podcasts, les voix et la mise en visibilité des parcours se sont multipliées autour du Vietnam et de l’Asie plus généralement. Cela a permis à un grand nombre de personnes explorant leur identité asiatique, de trouver des réponses à leurs questions. En écho, de plus en plus d’événements ont vu le jour.
Ceux qui mettaient en avant la culture vietnamienne, le faisaient souvent au travers de sa gastronomie, en attestent les nombreux food festivals. Peut-être parce que manger est l’un des actes les plus universels et accessibles (il n’y a qu’à compter le nombre de restaurants vietnamiens !).
Aujourd’hui, de manière empirique, mes observations me donnent l’impression qu’une large partie des asio-descendants vietnamiens est prête à vivre et explorer la culture vietnamienne non plus seulement à travers ses habitudes alimentaires, mais aussi en empruntant des moyens complémentaires, notamment par l’art et de plus en plus avec la musique.
À la sortie de la soirée, le sentiment qui m’accompagne est celui d’une certaine joie d’observer l’effervescence que la scène musicale vietnamienne et Việt Kiều* peut produire en France. C’est aussi un sentiment de fierté de voir ces talents issus de la diaspora vietnamienne s’accomplir devant un public divers et grandissant qui est là, prêt à les accueillir et à les soutenir.
Ce que vous nous avez partagé
Benjamin Pham, @benji_pham :
« C’était une superbe soirée à photographier. Je me sens privilégié et honoré d’avoir pu vivre ces moments d’aussi près. Je retiens la fierté dans les yeux et les sourires de tous les participants, notamment quand tout le monde dansait sur scène. C’était beau à voir. C’est difficile à expliquer par des mots mais j’ai eu l’impression qu’il se passait un truc différent, comme si c’était la grande soirée que tout le monde avait attendu depuis des années. D’un point de vue photo, j’ai essayé de me concentrer sur ces instants de joie et je me suis focus à essayer de retransmettre l’énergie des artistes présents sur scène. D’ailleurs cette énergie se transmettait facilement au public, c’était plaisant à voir.
Pour finir, ce que j’ai particulièrement aimé des concerts c’est la pluralité des musiques : un grand mélange passant de musique traditionnelle, à de la pop, du rap vietnamien ou bien de l’électro… Tout était lié d’une manière ou d’une autre au Vietnam et je pense qu’on est beaucoup à s’être retrouvé là-dedans. Cela fait écho aux jolis mots de Nodey qui a décrit le sinh tố vietnamienn comme un mélange de pleins de fruits, de glaçons, de sucre…etc. C’était une soirée totalement à l’image de ça. Un immense merci à Linda et Banh Mi Media de m’avoir permis de couvrir ce bel évènement. »
Linda, @lindanguon :
« Le Sinh Tố Paris pour moi, c’est véritablement un marqueur des ponts entre les diasporas vietnamiennes de France et le Vietnam. Pendant cette soirée-là, on s’est approprié les sons traditionnels qu’on écoutait pendant les karaokés de nos parents, la musique qu’on entendait en fond dans la voiture. Il y a eu ce mélange-là avec un côté traditionnel, par la musique Cải Lương. C’est un tour de force que d’avoir pu inviter Hương Thanh pour apporter comme une espèce de poésie. C’était un espace-temps qui était complètement en dehors du reste de la programmation. C’était hyper beau et incroyable d’avoir fait ça, de mélanger les genres, les générations et de faire communion tous ensemble.
C’est comme si, quelque part, on était tous fiers et liés par la musique avec toutes les personnes qui étaient dans la salle, qu’elles soient vietnamiennes ou non. L’arrivée de Suboi était juste phénoménale. C’est une figure du rap decomplexé, féministe, incisif. Elle incarne un modèle de superpuissance pour les femmes qui étaient dans la salle. Elle est là, elle est fière. Sa présence déconstruit l’image coloniale de la femme vietnamienne et asiatique qu’on peut avoir. Elle catapulte tout ces clichés en l’espace de 20 min de show car ses paroles sont les paroles d’une femme qui s’affirme, qui prend sa place. Même si on ne comprend pas toutes ses paroles, sa présence et sa manière de performer nous fait comprendre qu’elle a toute sa place et que toutes les femmes ont leur place au-delà des clichés de la femme vietnamienne et asiatique. Sur un aspect social et politique et pour toutes ces raisons, le côté intergénérationnel, le mélange des genres musicaux, c’est un moment de communion qui marque le temps, comme si on était en famille sans être en famille. To Van Kao aussi, qui a joué de son instrument en mêlant les platines, a donné une dimension assez fascinante en termes d’explorations et de liens avec ses racines et à qui l’on est. »
Laura, @laurabuibui :
« C’était un privilège de voir sur scène des artistes talentueux de renom, qui sont certainement de total inconnus en France. La soirée était incroyable, Nodey a transmis une énergie dingue, Suboi a captivé tout le monde, il y avait des français, des viets, des asio-descendants, des afro-descendants… c’était beau. C’était un moment pour la musique, vraiment beau. »
Mai et Tong, @viahecaphe :
« C’était une soirée vraiment réussie. Il y avait une belle énergie et des talents. »
Kim, @kimmelanie :
« C’était super cool de voir Suboi en vrai et d’assister à son petit show ! De manière générale c’était aussi très chouette de croiser autant d’asio-descendant-es et de pouvoir se saluer et de se dire que cette soirée a été faite pour nous et dont les fonds sont reversés a Tran To Nga ! »
Jade, @raspoutinade :
« Il faudrait que des événements comme Sinh Tố s’organisent plus régulièrement parce que ça se voyait que toutes les personnes qui y étaient, et qui sont d’origine vietnamienne, étaient trop heureuses et se sentaient safe. C’est tellement rare ce genre d’événements à Paris, que là, c’était LE rendez-vous à ne pas rater.
Il y avait de la musique traditionnelle qui se mêlait avec la vinahouse, avec de la musique française. C’était vraiment un mélange et un carrefour parfait pour toutes les générations et tous les styles de musique possible. L’événement était trop bien et j’espère que ça va permettre d’ouvrir la porte à l’organisation d’événements similaires. Grâce à cette soirée, j’ai pu recroiser des gens avec qui je suis en contact. Aussi, c’est honorable qu’une partie soit reversée en faveur du combat de Tran To Nga. Ça a permis de mettre en lumière le Collectif Vietnam Dioxine et tout le combat de Nga. La soirée était pensée entièrement pour des personnes vietnamiennes, grâce à la musique mais il n’y avait pas seulement des sons sur le registre “nostalgique”. Il y avait une vraie attention portée à notre culture musicale et le fait qu’on ait passé une soirée avec des gens qui nous ressemblent, je pense que ça a créé une forme de reconnaissance entre pairs. C’est comme si on était tous au Vietnam. C’est bien pour les gens du Vietnam qui sont là pour leurs études par exemple, ou qui viennent d’arriver. Il y avait vraiment le public, l’énergie et voilà quoi ! Il faisait aussi tellement chaud qu’on était au Vietnam tout simplement. »
Pour soutenir le collectif Vietnam Dioxine, rendez-vous sur : vietnamdioxine.org


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